Abu Hamid Ghazali
Biographie
Al-Ghazâlî est né en 450H/1059 à Ghazâlah, une bourgade voisine de Tûs, dans
le Khurâsân. Il est considéré comme un des plus grands penseurs musulmans à
tel point qu'on le surnomma Hujjat al-Islâm (« la preuve de l'Islâm »).
Personnage tout à fait emblématique de la culture musulmane, il fut à la fois
un des grands maîtres du taçawwuf de son temps ainsi qu'un éminent théologien
à la formation juridique et philosophique poussées. Issu d'une famille persane
de condition modeste, dont certains membres étaient connus pour leur savoir ou
pour leurs liens avec le taçawwuf, al-Ghazâlî était encore jeune à la mort de
son père. Lui et son frère Ahmad reçurent ainsi leur première éducation d'un
des amis de leur père, un mutaçawwif après quoi il entreprit ses études
religieuses à Nîshâpûr, alors un grand centre intellectuel du monde islamique.
Il y reçut une formation auprès de l'imam al-Juwaynî, le jurisconsulte de rite
chaféite le plus célèbre de l'époque. Il avait alors 23 ans. Après quoi il
commença à publier quelques ouvrages et à étudier le Soufisme auprès d'un
autre shaykh, al-Farmadhî. Après ces années d'apprentissage, il se mit à
fréquenter, à l'âge de 28 ans, les allées du pouvoir. Il se rend au « camp »
du ministre seldjoukide Nizâmu-l-Mulk, où il mène pendant six années la vie
des « juristes de cour », faite de combats politiques, de joutes savantes et
d'écriture, jusqu'à ce qu'il soit nommé professeur à la Nizâmiyya, la célèbre
université de Bagdad, l'un des centres de savoir et d'enseignement les plus
importants et les plus connus dans l'Orient islamique à l'époque. Il publie
alors ses ouvrages de jurisprudence à caractère politique, participe à divers
affrontements politiques et intellectuels majeurs qui secouent le monde
islamique de cette époque. D'une part, la lutte entre la philosophie et la
religion (entre la culture islamique et la culture grecque). Son Tahâfut al-
Falasifa (« De l'incohérence ou de l'autodestruction des philosophes ») expose
le point de vue traditionnel vis-à-vis de la philosophie et ses limites,
Ghazâlî y accuse même les philosophes (et tout particulièrement Avicenne)
d'infidélité dans la mesure où leurs ratiocinations les conduisent à
contredire la Révélation. Cette oeuvre fut un des facteurs du déclin de la
pensée philosophique grecque dans le monde islamique. D'autre part, Ghazâlî
prendra aussi position en faveur du Califat abbasside contre les Batinites.
Mais cette campagne ne sera pas couronnée du même succès que celle contre les
philosophes. Vers 488 H/1095, alors âgé de trente-huit ans, il traverse une
crise spirituelle qui le conduira à affirmer la supériorité de l'esprit et de
la spiritualité sur la raison, de l'ésotérisme sur l'exotérisme. Il quittera
Bagdad, son enseignement et sa famille pour Damas où, pendant près de deux
ans, il mène une vie d'ermite, voyageant à Jérusalem, Alexandrie, Le Caire et
La Mecque, et commence alors à écrire le plus important de ses livres, Ihya'
'Ulum ad-Din (« La vivification des sciences de la Tradition »). Divisée en
quatre parties, consacrées respectivement aux pratiques du culte, aux coutumes
sociales, aux vices et aux vertus, cette oeuvre ne prétend pas apporter quoi
que ce soit de nouveau mais constitue, avec ses quatre tomes et ses quelques
1500 pages, une véritable somme de la pensée islamique. A partir de cette
époque et jusqu'à la fin de sa vie, il mènera la vie des soufis, sans plus
rien modifier de ses convictions ni de sa vie de renoncement, que ce soit dans
le ribât d'Abû Sa'îd de Naysabur ou encore quand, après une retraite de dix
ans, sollicité, il acceptera de reprendre son enseignement à la madrasa
Nizamiyya de Naysabur. En 503H, il repart et regagne une fois de plus Tûs , sa
ville natale. Près de sa maison, il fait construire un khanqa où il écrira son
Minhaj Al-'Abidin (« La voie de la servitude »), qui retrace sa vie et celle
de ses élèves : renoncement au monde d'ici-bas, solitude et purification. Il
vivra ainsi jusqu'à sa mort en 505H/1111. Les écrits d'al-Ghazâlî réussissent
le tour de force d'être à la fois reconnus par les théologiens et les
exotéristes ainsi que par les initiés et les ésotéristes. Ils font en quelque
sorte le lien entre ces deux tendances de l'Islâm et montrent comment celles-
ci peuvent se compléter et comment l'une présuppose et se nourrit de l'autre
et vice-versa. Toute son oeuvre est un développement de l'idée selon laquelle
le taçawwuf est essentiellement un approfondissement de la Sharî'a (de la Loi
religieuse) et qu'on ne saurait avancer dans la voie spirituelle du taçawwuf
sans se conformer à cette même Loi qui est en à la fois au principe et à la
base. La profondeur, la force et l'étendue de sa pensée, consignée dans plus
de cinquante ouvrages, permettent de le classer parmi les plus grands penseurs
musulmans et parmi ceux qui ont laissé l'empreinte la plus profonde, d'où son
autre surnom de « rénovateur du Vème siècle de l'Hégire ». La majorité de ses
écrits continuent à être lus et étudiés aujourd'hui un peu partout. Au Moyen-
Age, sous le nom d'Algazel, son influence s'étendra au-delà du monde islamique
jusque dans les pensées juive et chrétienne, tout particulièrement chez Dante
ou Saint Thomas d'Aquin, dont la Summa Theologiae (« Somme théologique ») est
grandement redevable à son Ihya' ou à son Kimiya-yi Sa'adat (« L'alchimie du
bonheur »), mais aussi chez Maïmonide (Moshe ben Maimon), notamment dans son
Dalalat al Ha'irin (« Guide des égarés »), rédigé en arabe et considéré comme
un des plus importants traités de la théologie juive.